5 mars 2010

La médecine de papa


Là je rigole plus. Je suis colère.
Quand je suis colère, je suis toute rouge et je m'indigne.

Hier soir - hasard des programmations ou gestion au poil de planning ?, acte sciemment recherché ou totalement involontaire ? - après avoir diffusé un reportage sur la Loi Veil (dont j'ai pu me délecter des dernières minutes), France 2 nous proposait un numéro d'Infrarouge intitulé " La consultation ".
Nous permettant de satisfaire notre côté voyeur en se faisant petite souris à l'aide d'une caméra présente dans la salle de consultation d'un médecin généraliste lyonnais.

Lequel m'a irritée des les premières minutes du docu.
Le premier plan est tourné dans ce qui semble être une maison de retraite, ou plutôt un hospice, bref, parlons peu, parlons bien, un mouroir, quoi !
Le médecin est appelé au chevet d'un patient subclaquant, probablement très âgé, qui n'est plus en état de parler, respire fort, et peut à peine bouger.
Le plan est assez choquant. Pas de gros plan, mais une vue d'ensemble de cet homme gisant sur son lit, un visage et des membres décharnés, l'image de la Mort quoi.

Le médecin discute avec ce qui semble être l'infirmier de l'établissement.
Il a le détachement probablement inhérent à ce type de profession dans ce genre de situation. Mais un degré au dessus, peut-être. Il dit " ils " pour caractériser des personnes qui, je pense, sont les personnes âgées en fin de vie en général.
Un ton condescendant que je trouve inapproprié.
Dit deux mots au patient, qu'il appelle par son nom de famille : " Vous m'entendez, Monsieur X ? ". Le nom de Monsieur X et clairement audible pour le téléspectateur. J'imagine que les autorisations nécessaires ont été récoltées avant la diffusion du reportage. N'empêche, moi, si j'étais à quelques secondes de ma rencontre avec La Grande Faucheuse, je suis pas sûre que j'aimerais que ma vie soit jetée en pature comme ça à la télé. Peut-être que j'aimerais au moins qu'on préserve l'anonymat de mon nom. Par respect de ma dignité quoi...

Puis le Docteur parle à quelques centimètres des oreilles de ce Monsieur X, comme s'il n'était pas là. On voit que le résident réagit, il bouge un peu...

Le médecin donne quelques instructions à l'infirmier, puis s'en va sans même dire au revoir à Monsieur X, que l'on voit tenter désespérement de remettre son drap sur son corps, avec sa main noueuse...

Ensuite, nous sommes dans son cabinet.
La première patiente est une jeune fille de 21 ans qui se plaint de symptômes de rhynopharingite qu'elle indique avoir " tout le temps depuis longtemps ", de maux d'estomac depuis quelques jours, et qui souhaite, en outre, se voir renouveler sa pillule.

Pendant l'auscultation, elle glisse qu'elle fume "beaucoup", " 10 à 15 par jour ".
Grossière erreur !
Le médecin se ferme. " Bon, bah alors mon diagnostic est fait, vous pouvez y aller, au revoir ". Il la regarde en silence, pince sans rire.
Son discours devient alarmiste. Il la cuplabilise à fond. En gros : " En plus, vous prenez la pillule ?!? Votre espérance de vie est de deux ans. Vous avez une bronchite, c'est bien pire qu'une petite rhyno. Je ne peux rien faire pour vous. Ce qu'il faut, c'est que vous arrêtiez de fumer, c'est tout. Vous subissez les conséquences, vous connaissez les causes".
La jeunette le regarde, ébahie. Elle dit que ok, elle va arrêter de fumer, elle veut pas mourir à 23 ans.
Il dit " J'ai un peu exagéré, c'est volontaire ".
Elle dit " Ah bon, vous m'avez fait peur ! ".
Il répond " J'espère bien ".
Elle repart avec une ordonnance quand même, penaude...

Une mère de famille entre avec son nourisson de 10 jours dans les bras.
Elle indique qu'il semble avoir des problème des digestion.
Il lui demande si elle l'allaite.
Je me crispe à nouveau...
Elle répond par la négative.
Il lui demande pourquoi, si elle a eu un problème, ou si c'est un choix.
Elle répond que c'est son premier enfant, que l'idée d'allaiter lui faisait peur.
Il lui demande si, à la maternité, ils n'ont pas essayé de la faire changer d'avis. Non, apparemment...
Pendant l'auscultation du nouveau-né, il balance une petite pique, du style " nous les médecins généralistes, on devient pédiatres les jours d'urgence où les pédiatres sont absents ". Elle a l'air éberluée, elle répond que non, que elle, elle s'en fiche, pédiatre ou médecin généraliste, ça lui est bien égal...
Alors il se radoucit et lui dit qu'il est tout à fait qualifié pour suivre les bébés.
Et que " d'ailleurs, si c'est moi qui vous avais suivie, j'aurais fait en sorte que vous allaitiez " .
Elle, un peu désarmée (et excédée ? ) répond : " Oui, bon, maintenant, c'est trop tard, hein ".
Je partage bien son avis : à quoi ça sert, là, maintenant, tout de suite, de revenir là-dessus, c'est pas ça qui va guérir son nourisson, pour la santé duquel elle s'inquiète...
Et c'est pas ça qui va nous l'arranger, cette jeune maman. Elle sort tout juste de la maternité, est probablement dans un état de nerfs incroyable, elle apprend la vie de mère, et lui, là, qui visiblement ne la connaît pas, vient lui rajouter une cause de névrose... Mauvaise mère qui n'a pas allaité, va !!!!
De même que je serais curieuse de savoir si le discours tout aussi culpabilisant sur la jeune fille de 21 ans a porté ses fruits. A-t-elle vraiment arrêté de fumer ?
Je pense que c'est le genre de médecin, tu vas le voir parce que tu es en surpoids, il te demande si tu manges beaucoup, tu lui réponds que oui, et là, il te balance " ah bin voilà ! Pas besoin de moi, vous avez la réponse, faut moins manger, sinon, vous allez mourir ".
CA ME TROUE LE CUL !!!!!

Une fois la consultation terminée, seul derrière son bureau il fait part à la caméra de son agacement. Il ne comprend pas que dans les maternités, on ne fasse pas changer d'avis les futures mamans sur l'allaitement. Visiblement, ça le décourage.
Je n'ai pas d'avis sur la question. Il dit que l'allaitement, au moins pendant deux mois, est plein de vertus.
Je le crois.
Juste, c'est son discours qui me file la nausée. C'est déjà suffisamment éprouvant de devenir mère, je pense, c'est pas la peine de nous en rajouter une couche (c'est le cas de le dire, bref...)...
Idem pour le tabac : merci, hein, on le sait que c'est super mauvais, le tabac. C'est pas ça qui nous fait arrêter facilement pour autant...

S'ensuivent plusieurs autres consultations.
Toujours cet horripilant ton condescendant et péremptoire. La plupart du temps, il cherche le nom des patients quand il leur parle. Même quand il les raccompagne à la porte, à la fin. " Allez, Monsieur euh... Monsieur Y , on se revoit dans quelques semaines...."

Une femme qui semble dépressive vient le voir pour lui décrire les crises d'angoisse dont elle est la proie.
J'ai cru qu'il allait juste lui faire une ordonnance pour du Valium.
Non. Il évoque, en plus, avec elle, la possibilité de faire une psychanalyse, avec un spécialiste.
Finalement, mes préjugés sont vilains.
Je me détends, je suis rassurée, on n'est pas dans la caricature pure.
Je continue à regarder, en m'allumant une clope - que je ne savoure pas car je me sens fautive... -


Et puis la cerise sur le gâteau.
Un jeune couple entre. Environ 25 ans.
C'est lui qui parle, elle, d'origine étrangère, ne parle qu'anglais.
Il explique qu'il viennent de s'apercevoir tardivement qu'elle est enceinte.
Le visage du Doc s'éclaire. " Ah, vous voyez, que tout finit par arriver ! ".


Quel manque de psychologie ! A la manière dont le jeune homme a relaté les faits, j'ai bien compris, moi, que la nouvelle est loin de les ravir autant qu'elle ravit leur médecin.
Le jeune homme l'interrompt " Bah non, justement, là, c'est vraiment pas le bon moment. Je vais partir à Strasbourg pour les études, et elle va commencer une thèse ici ".
Le médecin se fige.
Se rembrunit.


La question de l'IVG est mise sur le tapis. Il calcule : 9 semaines d'aménorrhée, a priori.
Avant même d'avoir ausculté, il pose sa sentence : " 9 semaines, c'est beaucoup. A ce stade là, c'est plus médicamenteux, c'est médicalisé. Il faut bien y réfléchir. Depuis combien de temps êtes vous ensemble ? ".
2 ans.
" Et vous vous aimez, non ? ". Il se retourne vers la jeune femme : " Is he the man of your life ? ".
Elle répond " Yes ! " avec des étoiles dans les yeux et un sourire qui me fait chavirer.
Il tente de lui expliquer, en anglais, qu'à ce stade de sa grossesse, c'est quand même du lourd, l'IVG qui l'attend.
Il a un bon anglais, il prononce bien " Aïe Vi Dji ", mais elle ne sait pas ce que c'est.
Révélateur, peut-être, lui qui parle bien anglais, il ne connaît pas la traduction du mot " avortement ".
C'est elle qui le lâche " Abortion. Yes, I want abortion".


Il se renfrogne à nouveau, et dit qu'il va l'ausculter pour tenter de savoir si on est vraiment à 9 semaines d'aménorrhée.
Là, j'ai eu peur, une fois de plus, qu'il ne lui fasse carrément une écho, pour qu'elle réalise bien la portée de son acte et change d'avis.
Non. Il se contente d'un toucher. Il pense que la taille de l'embryon a moins de 9 SA.
Il demande à la jeune femme si vraiment, elle est sûre, si c'est bien sa décision à elle.
Elle se met à pleurer.
Il pense pouvoir en déduire qu'en fait, c'est la décision du jeune homme.
Elle martèle " No, I want abortion ".

Ellez pleure pas parce qu'on la contraint. Elle pleure parce que c'est une décision qui l'éprouve. Qu'elle a déjà probablement assez mauvaise conscience comme ça...

C'est intolérable. Je me crispe à nouveau sur mon canapé. Je pense au billet de Navie d'il y a quelques semaines, si émouvant... http://www.navie.fr/toutvamieux

Je pense au reportage, diffusé sur la même chaîne, il y a une heure. Pauvre Simone, c'est pas gagné...


Je pense à la " clause de conscience ", est-ce qu'elle s'applique dans une telle hypothèse ? Comment ?


Il revient à son bureau, prépare un courrier pour un spécialiste, à qui il demande son " conseil ", a priori au sujet de la date de conception réelle.
Il se justifie auprès du jeune homme, genre : " je suis désolé, mais les questions que je vous pose là, étant donné l'antériorité de la grossesse, on va vous les reposer si vous décidez l'IVG ".


Mais enfin !!!!!! L'IVG, ils l'ont déjà décidée !!!! Ce n'est pas " si vous voulez le faire ", c'est " quand vous le ferez ".
Ils ont 25 ans, ils ont pas l'air décérebrés, j'imagine que la décision a été réfléchie, qu'elle ne s'est pas prise en un claquement de doigts. Genre " oops, tiens, je suis enceinte, c'est ballot, allez zou, une petite IVG et on n'en parle plus ".
Il leur demande si ils utilisaient un moyen de contraception. Oui, le préservatif...
Puis il insiste, sous-entend qu'à ce stade là, ça peut entraîner des lésions irréversibles sur l'utérus, que c'est pas anodin.


C'est pas anodin, on est bien d'accord.
Mais encore une fois, cette culpabilisation, elle est pas anodine, non plus !!!!


Une fois le jeune couple parti, nouveau moment face à la caméra. Il explique que ça le rend malade, que c'est peut-être (il a l'air de croire que c'est pas peut-être, mais que c'est sûr) le genre de couple qui reviendra desespéré dans deux ans parce qu'il n'arrivera pas à faire un enfant. Qu'ils ont 25 ans, qu'ils s'aiment, que c'est pas comme si c'était une fille de 16 ans qui vient seule avec sa grossesse non désirée.
Qu'il en a marre d'être devenu le pantin d'un système. Qu'il insiste sur les risques, mais que quand il le fait, il passe pour un vieux " ringard ".
C'est même pas " ringard " le terme, mec !
C'est " réac ".


Je ne peux pas t'empêcher de penser ce que tu penses.
Bien sûr...
Ta vision des choses m'ulcère, mais c'est comme ça.

On pourrait en débattre ensemble, toi et moi, et d'autres aussi, pendant des heures. Un dialogue de sourds, peut-être...


Juste, d'un point de vue objectif : la loi ne fait pas de distinctions, elle.Y'a pas d'un côté les cas extrêmes, " tolérables " et de l'autre, les autres qui n'ont pas le droit à disposer librement de leur corps.


Je repense à cette clause de conscience.
Je ne pense pas qu'elle s'applique à un généraliste. Donc il ne sert à rien d'espérer que tu aies pu juste dire " Désolé, je n'adhère pas au principe, mais voici une liste de personnes qui sauront vous renseigner ".
Ca aurait peut-être été mieux que d'infliger à ce pauvre couple, et surtout à cette pauvre fille un discours culpabilisant pendant de longues minutes.


Je me dis qu'en fait, tout ça, c'est la roulette russe. Que quand tu vis cette épreuve, tu peux tomber soit sur un pro, soit sur un anti, soit sur un modéré, mais que de toute façon, tu ne le vivras pas de la même manière en fonction des convictions de ton interlocuteur.


Ensuite : 9 SA.
La loi prévoit la possibilité de l'IVG jusqu'à 14 SA.
Ca aussi, c'est des données objectives.


Enfin : les lésions sur l'utérus.
Bien sûr, ça arrive. Malheureusement.
Mais ces cas atroces ne représentent pas la majorité des cas, loin s'en faut. Sous-entendre que c'est le cas, c'est de la désinformation.


Après, j'ai éteint le poste, écoeurée.
Peut-être que la suite du reportage permettait de redorer le blason de ce médecin. Ou pas...
Je suis consciente du fait qu'il est impossible de pratiquer la médecine, comme bien d'autres professions, de manière purement objective et scientifique.
Que les valeurs d'un professionnel peuvent être heurtées par ce qu'il voit. Qu'il peut être tenté de vouloir faire passer le message de ses valeurs (croyances ? ) en profitant de sa position de force, de cette aura que lui confère son statut, sa profession...


En tout cas, moi, cette médecine là, je n'en veux pas. Point barre.

C'est tout (et c'est déjà beaucoup).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire