2 mai 2010

" A fond la caisse vers nulle part "

" J'adorais lire Picsou quand j'étais petit. Surtout les gros, épais et denses sous leur couverture brillante, les Super Picsou Géant.(...)
Mickey me gonflait, comme d'ailleurs tous les autres gentils héros de Disney, mais alors Donald, ses neveux, Picsou et compagnie, ça c'était de bons personnages (l'avare tyrannique, le naïf malchanceux, les petits malins qui font des bêtises, les voleurs stupides, ils me convenaient tous - Mickey c'était juste le bon gars bien comme il faut, avec que des qualités, courageux et intègre, sûr de lui, mièvre, je l'aurais tué). Quand j'étais malade, c'était le bonheur. Je restais toute la journée couché au chaud à lire mes Super Picsou Géant. Ce que j'aimais surtout, c'était le début, quand il ne se passait rien de particulier. Donald emmène Riri, Fifi et Loulou en pique-nique, leur petite voiture ronde prend de beaux virages, Picsou nage tranquillement la brasse dans ses flots d'or, bien à l'abri dans son coffre-fort géant avec le gros " F " dessus, les Rapetous mettent au point un énième plan d'attaque, Donald a perdu sa canne à pêche, Loulou prépare une bonne farce à ses frères, Daisy se trompe dans les ingrédients de son gâteau, Gontran gagne dix millions à la loterie, je dévorais ces pages d'aventures tranquilles avec joie, je ne sais pas pourquoi. Je rêvais d'un Super Picsou Géant entier où il n'arriverait rien de grave ni d'extraordinaire, rien d'extérieur à la " vraie vie ", seulement de légères déconvenues, des petits incidents de tous les jours (j'imagine que je n'aime pas le drame). Je tournais chaque page en tremblant, en priant pour que les ennuis ne surviennent pas tout de suite, mais je savais au fond de moi que ça n'allait plus tarder. Les auteurs de ces histoires n'étaient pas assez intelligents pour laisser de côté la grosse artillerie du sensationnel. Et tout à coup, c'était la catastrophe : on volait toute la fortune de Picsou mais les coupables n'étaient pas les Rapetous, ou bien Gontran réussissait à hypnotiser Daisy pour qu'elle cède à tous ses désirs, ou Donald était kidnappé par des inconnus, et j'en passe et des pires. Ca me mettait réellement en colère. Ils ne peuvent pas laisser la vie se dérouler normalement ? Ce n'est plus crédible, maintenant. ou si c'est vrai, c'est encore pire. On est là, tranquille, on n'arrive pas à attraper un seul poisson mais bon, c'est pas si grave, et tout à coup, on est kidnappé par des inconnus ? Je n'aimais pas ça (...) ".




Philippe Jaenada, La Grande à Bouche molle






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