2 mai 2010

Tuer le Père

" Chaque jour le réveil sonne à 8h00 précises.

C'est trop tôt, huit heures. Les bonbons que me donne le docteur me plongent dans des nuits sans rêves, mais de sommeil intense. Alors 8h00, pensez-vous !

Il est temps de Le remercier d'être encore en vie, aujourd'hui. Voilà, c'est chose faite !

Je me lève péniblement, pénètre précautionneusement mes pantoufles, qui m'attendent sagement au pied du lit, sur le parquet délicatement encaustiqué.

Je traîne la savate jusqu'au cabinet de toilette. L'odeur du café préparé par Irma la bonne, Irma la douce, Irma l'esclave, flotte dans l'air.

Je me débarbouille, consciencieusement. Je frotte, et je frotte, et puis je gratte, et je gratte, jusqu'à ce que ma peau rougisse fort, et pique aussi.
J'applique méticuleusement du savon à raser sur mes joues écarlates, avec un blaireau. J'aime bien les blaireaux. Ca pique, mais c'est utile.
C'est utile, les gros blaireaux.
Je rase, je rase ; je ne m'écorche plus, maintenant.
Je rince. Et je rince, et je rince.

Je déboutonne le haut de mon pantalon de pyjama en soie, choisi avec application et amour pour mon anniversaire par mon épouse, la fraîche, la fidèle Eléonore. Elle a du chien, Eléonore, elle a du piquant, Eléonore, elle m'aime, Eléonore.
Je l'aime, Eléonore.
Vingt d'un mariage sans éclat, Eléonore, d'un doux mariage, Eléonore, embarqués tous les deux dans la même galère. Vingt ans d'un amour au cours tranquille, dans la douce quiétude du Mariage, dans cette institution qui perdure, qui fait l'âme de la France, l'âme des gens biens, des gens honnêtes et pieux.

Nos serments échangés religieusement dans la grande Cathédrale de la ville, avec la bénédiction de l'Archevêque, et puis la Sienne, bien sûr.
Ma mère, raide, le sourire satisfait du devoir accompli, engoncée dans son tailleur sobre, qui sentait un peu la naphtaline. Son petit carré Hermès noué autour du cou.
Mon père, austère, figé, inexpressif. Ses médailles bien piquées sur le torse, bien brillantes sur son uniforme.
Ma soeur, flanquée de son mari, et de ses deux nourissons (seulement deux, à l'époque - ça ne faisait que commencer...). Fière. Ses petites ballerines, sa jupe droite, ses petits mollets, son ventre qui pointait à nouveau, ses tétons pointant aussi, sous le chemisier de satin. Brrrrrrrr...

Un beau mariage. Une belle union.

Eléonore, sa famille, et la mienne, comme c'était écrit. C'est Lui qui avait décidé, pour sûr. Il est très doué, nous le savons. Je n'avais pas eu le choix, elle non plus, mais bon, finalement, c'est quoi, ces histoires de choix ??? Eléonore, elle me convient, elle est belle, elle est vive, elle est loin d'être sotte, elle est bien dotée, elle a toujours été là.
Alors on ne va pas remettre en cause Ses choix. Ils sont toujours adéquats.
La preuve.

J'enfile ma chemise, soigneusement repassée par Irma la servante, Irma l'étrangère, Irma la mûlatresse, Irma la différente, Irma qui sait si bien prendre soin de nous, et repasse mes vêtements avec une méticuleuse dextérité. Ca sent bon la lavande. J'aime quand ça sent bon, elle le sait, Irma l'asservie.

J'enlève mon pantalon de pyjama si bien choisi par mon épouse, la belle Eléonore.
J'ai bien l'impression que mon sexe est encore une fois tout tendu, ça lui arrive souvent, quand je pense à Irma, et puis à Eléonore, surtout - et puis à ma soeur, aussi...
Je rougis, j'ai un peu honte.

Qu'à cela ne tienne, je me saisis de mon silice.
Un coup, deux coups.
Ca fait mal, mais ça fait du bien. C'est ce qu'Il veut, je le sais, je sens son ragrd désapprobateur sur mon vît.

C'est bizarre, ma verge continue à pointer vers le miroir, comme les tétons de ma soeur, le jour de mon mariage, et ceux d'Irma, que je devine toujours sous la blouse raidie par la mauvaise lessive...
Tant pis, je n'ai plus le temps de me flageller, là. Eléonore frappe à la porte frénétiquement (c'est tellement elle, ça, elle est si pétillante, mon Eléonore ! ), elle me presse de sortir, vite, vite, je vais être en retard... Elle s'énerve, un peu, aussi.

Parfois, je l'énerve, Eléonore, elle dit qu'elle aurait besoin que je sois plus énergique, qu'elle ne peut pas porter ce couple, le nôtre, toute seule. Qu'elle m'a épaulé, quand ça n'allait plus trop (dans cet épisode de ma vie où même Lui, malgré mes supplications, ne me répondait pas ; j'ai fini par comprendre que c'était un défi, une épreuve, Il aime bien ça, nous soumettre des défis, il a bien raison, on est si heureux grâce à Lui, que parfois, on en oublierait presque que tout ça, c'est grâce à Lui, justement. Alors il se rappelle à notre bon souvenir. Et Il a bien raison. ), qu'elle sera toujours là, parce qu'elle a échangé les mêmes que moi, de voeux, mais que bon, faudrait que je me secoue, peut-être.

Je sors. Elle me regarde, avec son petit air pète-sec que je lui adore. Quand elle me mate comme ça, j'aimerais la prendre sauvagement contre le tableau de mon ancêtre Victor-Emile, qui trône à côté de la porte du cabinet de toilette. Qu'elle me fouette avec le silice. Vilain garçon, vilain garçon. Vilain, vilain... "


(...)

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