15 mai 2010

Roots

Je pense à cette collègue qui ne manque jamais une occasion de me rabaisser (ou de tenter de le faire) avec le sourire mielleux des gens qui sont conscients de la force de leurs vacheries, mais ne peuvent s'empêcher de les proférer.


Un jour, au détour d'une conversation inutile, comme le sont la plupart des conversations de bureau, elle avait glissé un subtil " Oui, en fait, toi, tu n'as pas vraiment de racines ", parce qu'on parlait des racines fortes qu'ont les gens du Sud Ouest avec leur région, qui leur manque toujours où qu'ils soient, ailleurs dans le monde, ailleurs en France, et du fait que moi, j'ai beaucoup bougé partout, loin de mon cocon originel (qui n'est pas le Sud Ouest).



Je suis ici depuis 4 jours pleins, j'essaie de le refaire, le plein, justement. Et je sens que mon cocon est là. N'en déplaise à mon scorpion vacharde de collègue.


Et je les sens, mes racines.



Je suis allée voir le Premier Prince, pour qu'il me dise, lui qui l'a vécu, comment on fait, quand ça va mal, pour aller mieux.


Parce que j'ai beau être, de manière générale, un zébulon qui rebondit assez bien en cas de coup dur, là, je suis à court d'idées.


Je suis une louve aussi, je m'en suis déjà fait la réflexion à plusieurs reprises dans le passé ; je sais me cacher loin des regards pour lécher mes plaies à vif, pour mieux repartir croquer la Vie après coup.


Là, je lèche, je lèche, je panse, je pense, mais bon, j'ai pas encore envie de repartir croquer la Vie.


Le Premier Prince m'a distillé ses principes pragmatiques, en riant ; en gros, pour lui : " c'est simple, d'abord, tu fuis. Tu fuis, tu fuis, loin, physiquement, tu te démerdes pour bouger partout. Pour être jamais là, en toi, dans ta tête qui n'en finit pas de penser. Et tu évites, de penser. Et puis aussi il y a le Temps, qu'il faut pas sous-estimer. Et les drogues !!!! " et il a ri de plus belle.


Après il m'a raconté une blague de Monsieur et Madame que j'ai mis beaucoup de temps à comprendre, et que je ne m'autorise pas à vous livrer, parce que c'est un pote à lui et sa nana qui l'ont inventée, alors elle est copyrightée, et moi j'ai un espèce de lien sacré avec la propriété intellectuelle.


Il m'a fait boire du thé aux épices avec plein de miel, et partir dans des des voyages psychotropiques que la morale réprouve. Et puis on a parlé de ces villes où je pourrais m'installer quand j'aurai enfin le courage de quitter Bordeaux, il m'a appris l'expression MST ( " Mocassins Serre-Têtes " ) qui désigne les cathos intégristes qui colonisent pas mal de villes françaises comme Bordeaux, justement. Ca m'a fait sourire cette expression " MST ", et même rire, j'avais pas vraiment souri, ni ri, depuis quelques jours, c'était chouette...


On a réussi à s'auto-convaincre que le Poitevin, comme région, c'est quand même chouette, parce que y'a pas trop de MST, et plein de gens sympatoches.


Par la suite, la théorie des MST a été totalement mise à mal par ma meilleure amie, qui m'a dit qu'en fait, Poitiers, par exemple, regorge de MST.


Flûte...



Et puis je me suis fendue d'une visite à Mamie.


Mamie, comme beaucoup de gens de son âge, c'est une véritable langue de pute.
A côté, Steevie Boulay, et Amanda Lear, c'est Dora l'exploratrice et son pote le singe (je sais pas son nom) au pays de Casimir et Pollux.


Mamie profère des saloperies sur tout ce que le monde humain offre de specimen vivants.
Elle se poste à sa fenêtre et regarde défiler les derniers moments de sa vie, au rythme des fauteuils roulants de ses congénères, dans son foyer-logement transformé en hospice, " tous des vieux, et en plus, que des cons ".
Mamie a suggéré au directeur du foyer-logement de remplacer le " Foyer " de " Foyer de vie " placardé sur la façade par le mot " Hôpital " comme dans " Hôpital de vie ".


Mamie est le genre de personne capable de dire bien haut au supermarché, à ma cousine venue l'accompagner aux courses " bin on va pas prendre des pruneaux, vu qu'à cause des antibiotioques, tu dois déjà avoir la diarrhée !!! ".
Ma cousine ne s'en remet pas, nous, ça nous fait poiler.


C'est une tradition familiale, on essaie de renre visite à Mamie régulièrement, nous les petits-enfants, et on l'emmène faire ses courses.

Je l'ai accompagnée, hier. Ca m'a fendu le coeur.
Elle a raison, dans son foyer-logement, c'est que des vieux (" cons " , je sais pas, mais vieux, c'est constatable immédiatement de visu), mais je crois que dans sa ville en général, c'est des vieux, en fait.
Le supermarché était empli de têtes blanches.
Ca m'a fait de la peine de la voir, ma grand-mère, aussi langue de pute soit-elle, traîner son vieux corps dans les rayons, boîtant, soufflant, le chariot à la place du déambulateur (elle m'a dit " je suis obligée de prendre un chariot, pour m'appuyer, sinon j'arrive plus à marcher " ).


Après on est rentrées, et on a fait réchauffer de la paëlla cuisinée par le traiteur de l'Intermarché, on a mangé du saumon fumé et des oeufs durs, j'ai mangé ma tartelette aux pommes en l'écoutant débiter des saloperies sur tous les résidents de son foyer, dans son patois poitevin qui ferait orgasmer Jean-Luc Petitrenaud, j'ai fait la vaisselle en l'entendant réciter la liste des vieux garçons ou veufs que se choppe la dame du logement 6B (" rends-toi compte, elle a pourtant mon âge, plus de 90 ans, quand même, si c'est pas honteux !!!! " ).


Je lui ai dit " c'est un peu la veuve joyeuse, celle-là, une vraie mante religieuse ! " avec un clin d'oeil complice, Mamie a kiffé cette complicité, elle a ri de bon coeur.


Elle m'a dit " oh oui, pour sûr, elle est très apprêtée, elle est bien habillée, elle a la peau fraîche, elle se fait faire une mise en plis toutes les semaines, et elle les accroche TOUS !!!! Je sais pas combien elle en a eus, celle-là !!!! ".


Dans ma tête, dans ma tête seulement, je me disais, ' ma pauvre Mamie, si tu savais, j'ai un tiers de son âge, et j'en ai eus, moi aussi, un paquet... tu en penserais quoi, de ta petite fille dont tu adores décliner le CV aux ADMR qui viennent te faire la toilette ( " elles ont ton âge, et les voilà obligées de torcher des vieux, les pauvres !!!! " ), pour crâner, de ta petite-fille qui, comme tous tes petits-enfants, constitue ta fierté sociale, tu en penserais quoi si tu savais que moi, que tu mettais sur le perron devant la rue devant chez toi, quand j'avais 6 ans, convoquant les voisines et m'ordonnant " Chante ! ", et crânant, encore, devant les voisines " vous avez vu comme elle chante bien, ma petite fille !!!! ", tu en penserais quoi si tu savais que moi aussi, je me la régale, je joue les mantes religieuses, et si tu savais CE QUE CA PEUT ETRE BON, si souvent... !


Après, elle a demandé subrepticement " Et toi, tu as quelqu'un ? " .

J'ai répondu tout aussi finement " Non, pas en ce moment ". C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour, à la fois la rassurer (" il m'arrive d'en avoir, c'est pas desespéré, t'inquiète ! " ), et en même temps, lui faire passer un message subliminal : "pas en ce moment" , ça implique un rythme, un enchaînement, des séries, peut-être... la mante religieuse n'est peut être pas uniquement ta voisine de palier, Mamie....
Après je lui ai expliqué, à sa demande, la différence entre le mariage et le PACS, parce qu'elle s'inquiétait de savoir " Mais quand même, il y en a encore, des jeunes qui se marient ? ".
Je l'ai rassurée à fond, parce que des jeunes qui se marient, j'en connais plein. Je lui ai dit que le PACS et le mariage c'est pas contradictoire. Je connais autant de pacsés que de mariés, je crois. et souvent le mariage est l'étape suivant le PACS. T'en fais pas, Mamie....
Après je lui ai fait sortir les photos de famille. Je préfère quand elle me montre celles en noir et blanc, mais tout est mélangé dans un grand bordel intersidéral, de la couleur, du noir et blanc, des photos de photographe du début de siècle, magnifiques, côtoyant des photos amateurs de gends scalpés eu milieu du front lors des 70 ans de la Tante Germaine il y a 3 ans...
J'aimerais tant qu'elle me parle de son secret, celui de polichinelle que tout le monde sait mais qu'on a strictement défense d'aborder avec elle.
J'ai fait chou blanc, bien sûr. On ne vient pas à bout de 70 ans de silence en deux heures de matage intensif de photos.
Ils étaient beaux, ces gens du début du siècle, bien habillés, endimanchés, sur des photos de groupe, et Mamie, quelques années à peine, devant, avec les enfants, un énorme noeud dans les cheveux.
Et là, crois-moi, je les ai putain de senties, mes racines !!!
A un moment, au détour d'une phrase, Mamie m'a dit quelque chose qui m'a libérée.
Elle m'a dit " Des fois, j'en parle avec les autres femmes de mon âge, celles qui me comprennent parce qu'on a vécu les mêmes choses en même temps, et on ose se le dire : ' Qu'est-ce qu'on a pu les supporter, ces bonhommes !!!! Ils nous en ont fait voir, c'est pas facile, les bonhommes !!!! ' ".
J'ai eu l'impression que dans le fond, c'était une sorte de bénédiction qu'elle donnait à ma vie plutôt dissolue, que finalement, Mamie et ses copines, ça les interloque, mais qu'elles nous comprennent, nous leurs petites-filles, de pas suivre le chemin tout tracé qui leur avait été préparé à elles.
Paradoxalement, ma mère, sa fille, semble bien moins le comprendre.
C'est curieux, cette génération, celle de nos mères, qui s'est finalement rabattue sur des valeurs très tradi, alors qu'on leur avait donné les moyens de s'en émanciper, et que leurs propres mères avouent désormais qu'elles en ont bavé...
J'ai répondu à Mamie, " Tu sais, les hommes de maintenant, les 'bonhommes', comme tu dis, sont pas beaucoup plus faciles, je crois. Je veux dire, en papas modernes, ils sont super, ils s'occupent avec leurs bébés de choses que ne faisaient pas nos grand-pères, et peu nos pères, par exemple, les couches, tout ça, je le vois bien avec mes potes... mais pour le reste, les femmes et les hommes sont toujours diamétralement opposés sur plein de choses, et ont toujours du mal à se comprendre, et à s'entendre... ".
Là elle a enchaîné en disant que déjà, ça c'était énorme, les couches, tout ça, parce que " ton grand-père, tu pouvais y aller, il aurait jamais levé le petit doigt pour donner la becquetée à ta mère ou ses frères et soeurs, même si j'étais occupée et que lui il était là à rien faire, les pieds sous la table. C'était lui avant tout, il fallait le servir, les bonhommes, c'était comme ça, ils pensaient qu'à eux, c'était des sacrés égoïstes ".
J'ai pris congés de Mamie en lui promettant de revenir bientôt.
Et là, dans ma voiture, sur le chemin du retour, je me faisais des tas de réflexion... - pour changer-.
D'abord, que oui, elles sont là, mes racines.
Ce qui veut donc dire que j'en ai.
La découverte me rassure.
Le scorpion m'aurait presque fait douter ! Vilaine " bonne femme " , comme dirait Mamie.
Et puis aussi, comment tu veux que je me construise un bonheur conjugal, moi, quand on m'a véhiculé une telle image des hommes, de manière consciente et inconciente, depuis ma naissance !!!!!
Bin, n'importe comment, de toute façon, va bien falloir !
Ce second constat me donne envie de lécher, de laper encore plus mes blessures, pour qu'elles se referment plus vite, parce que là, dehors, à l'orée des bois où je me suis réfugiée, il y a la Vie qui attend que je la croque....






A part ça, je me suis englouti Le mec de la tombe d'à côté de Katarina Mazetti, une suédoise, dont Caroline a parlé à plusieurs reprises dans son blog. C'est juste génial.
Je finirai donc par cette citation issue du bouquin, et vous en conseille plus que vivement la lecture (en 2-3 heures, c'est plié, et c'est juste vraiment très bien) :


" J'aurais pu mouliner tout doucement pour l'avoir
j'aurais pu utiliser l'épuisette
l'écailler et lever soigneusement les filets
puis manger de bon appétit
-mais il a réussi à se libérer
ce putain d'amour "

2 commentaires:

  1. your aussie matelundi, 17 mai, 2010

    quel style ! magnifique billet, j'ai envie de rencontrer ta grand mere du coup !

    Je commence juste me demander si je suis normal a ne pas me poser autant de questions :o)

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  2. ah la la, le rêve : ne pas se poser trop de questions... le début du bonheur ???

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